Guerre à la vie et impuissance

Sous couvert d'une démocratie représentative plus simulacre que jamais, les furieux sont prêts à tout pour pérenniser leur dominance…
Surtout quand celle-ci est menacée par les conséquences de leurs propres agissements.

Il y a 13 ans, quelques-uns avaient pu se demander pourquoi les hiérarques états-uniens s'étaient enfermés dans l'engrenage de la violence comme de vulgaires petites frappes.

Les autres n'avaient pas oublié que l'ère des Reagan-Bush-le-père (et un certain Donald Rumsfeld, artisan du soutien à Saddam Hussein) avait abondamment payé, armé, renseigné, cajolé l'Irak en guerre contre l'Iran.
Etait-ce seulement pour prendre une revanche sur l'Iran qu'ils venaient de perdre, pour regagner un point dans "the game" qui semble tenir lieu de monde réel pour les dominants états-uniens ?
Ont-ils pu croire endiguer et fragiliser la révolution iranienne ?
Ou n'était-ce qu'une mise pour préparer plusieurs coups à l'avance une opération vraiment rentable ?

On se souvient que le Koweït puisait dans un gisement pétrolifère appartenant principalement à l'Irak (Roumeilah), tout en dépassant ses quotas de production pour faire baisser les cours, ce qui diminuait les revenus de l’Irak au moment où il lui fallait se refaire après la guerre contre l’Iran.
On n'a pas oublié que, au moment où des troupes irakiennes menaçaient la frontière koweïtienne, l'ambassadrice de Washington tenait à Saddam Hussein des propos rassurants sur la neutralité de son pays :
"Nous n’avons pas de point de vue sur les différends interarabes, tel celui qui vous oppose au Koweït".
De son côté, James Baker, alors Secrétaire d’Etat, faisait dire à ses collaborateurs que les Etats Unis n'avaient pas l'obligation d'aider le Koweït s'il venait à être attaqué.

Nous avons fini par savoir que la menace imminente d'invasion de l'Arabie Saoudite mise en avant par les Etats Unis était inexistante.
Les satellites civils d'observation n'ont pas relevé la moindre trace de chenille de char irakien là où, selon le Pentagone, piaffait la troisième ou quatrième armée du monde, selon les propagandistes.

Tous ont pu constater que les stratèges de la coalition ont surtout écrasé des pauvres gens contraints par la dictature sans même se soucier s'ils représentaient une menace, s'ils fuyaient, s'ils se rendaient, s'ils étaient civils ou militaires.
L'important était de tester les nouvelles armes, sinon de se débarrasser des stocks. Personne n'ignore que, tandis qu'ils épargnaient les meilleures troupes de Saddam Hussein, ils envoyaient au massacre les populations du nord et du sud en les incitant à la révolte.

Et, comme attendu, une fois la machine de guerre états-unienne installée en Arabie Saoudite, elle n'en est plus repartie, quitte à susciter les haines qui sont le terreau des vocations terroristes.

Bref, les Etats Unis libérés de la menace de l'URSS n'étaient-ils pas en train de diverger ?

L'horreur sélective

Et puis, il y a eu les attentats du 11 septembre 2001.
Sitôt leur annonce, nous avons pu craindre qu'ils soient un puissant stimulus pour les interprétations simplistes du monde et servent de camouflage aux impérialistes piaffant d'impatience.
Pour que tout soit plus limpide, les commentateurs médiatisés ont dit et répété que l'événement était incompréhensible.
On comprend surtout le malaise de ceux-ci devant l'étrange ressemblance entre ce que la plupart d’entre eux cautionnent chaque jour sans état d'âme et ce qui, tout à coup, les horrifient.

Beaucoup d'observateurs ont reconnu que les instigateurs et les acteurs des attentats avaient été nourris par la culture occidentale ; plus exactement : par une certaine culture, celle dans laquelle se reconnaissent les dominants et leurs vassaux.

Peu ont dit que le mépris des terroristes pour la vie, la leur comme celle d'autrui, n'a d'égal que celui qui marque la "modernité" occidentale, à commencer par les colonisations civilisatrices et les guerres friandes de sacrifices de populations innocentes.
Un mépris de la vie qui n'a fait que croître et s'affirmer avec le sacro-saint développement industriel dont les beaux esprits traumatisés font justement grand cas, feignant de ne pas remarquer quel en est le coût en manières d'être et en histoire saccagés, en vies broyées, en biosphère bouleversée : "L'animisme avait donné une âme à la chose, l'industrialisme transforme l'âme de l'homme en chose" ont constaté Max Horkheimer et Theodor Adorno dès 1943.

Et qui a remarqué que le moyen utilisé par les terroristes, l'avion, est l'une des technologies les plus appréciées par les horrifiés médiatisés ?
Qui a noté que leur réaction traduit surtout l'identification des habitués du transport aérien aux passagers des vols détournés, pas une prise de conscience de la violence structurelle de cet outil ?
Or, l'avion est un exemple révélateur de la confusion ambiante.
En supplantant sa rivale du plus léger que l'air au point de la faire presque oublier ou tourner en ridicule, l'industrie de l'aéronautique lourde a créé les conditions des attentats de septembre 2001.
Combien ont réalisé qu'aucun dirigeable si gros soit-il n'aurait pu être utilisé pour perforer une tour ?
D'autant qu'étant économe en énergie, le dirigeable ne transporte pas assez de carburant pour rivaliser avec le pouvoir destructeur de l'avion.

Car rien de tout cela n'est dû au hasard.
Paul Virilio est de ceux qui soulignent que l'accident est créé avec l'invention et, surtout, avec son application à grande échelle.
On peut considérer que ses usages détournés le sont aussi.
Les esprits ouverts sur le monde y ajouteront les colossaux "dégâts collatéraux" perpétrés pour et par l'aviation.

Avec cette ouverture, l'histoire industrielle du plus lourd que l'air est très éclairante.

Elle commence par l'embargo inique des Etats Unis sur l'hélium dont ils étaient seuls producteurs.
C'est cette mesure qui contraignait les autres constructeurs de dirigeables à gonfler leurs machines avec le très inflammable et très explosible hydrogène.
Et c'est cet hydrogène qui, en 1937, fit de l'accident de l'Hindenburg une "catastrophe" spectaculaire.
Un "accident" par ailleurs très curieux, et très opportun, survenu sur le territoire de ces Etats Unis dont nombre de groupes influents, en particulier l'armée, voyaient d'un très mauvais œil ces gros engins traverser l'Atlantique en 60 heures.

Dans la foulée, la guerre 1939/45 et les énormes crédits prélevés sur l'argent public firent la fortune des industriels états-uniens de l'armement qui développèrent les avions d'attaque et de bombardement.
Sitôt après la fin du conflit, ce sont ces mêmes industriels qui imposèrent au monde leurs appareils en version civile, enterrant pour longtemps la technologie du plus léger que l'air incomparablement mieux adaptée aux lois physiques et écologiques.

Dès cette guerre, en lançant des pilotes suicides sur les objectifs ennemis, les militaires japonais exploitèrent le potentiel destructeur de l'avion, cette bombe volante.
Plus tard, les écologistes des années soixante dix critiquèrent l’insécurité nucléaire en dénonçant les centrales comme excellentes cibles potentielles d'actes terroristes utilisant des avions.
Les attentats de septembre 2001 ne sont donc un événement incompréhensible que pour ceux qui se voilent la face et veulent continuer à croire que la technologie peut être neutre, tout comme les structures auxquelles ils sont tant attachés.

L'idée de précipiter des avions, même civils, contre des cibles colle au transport aérien lourd accouché de l'industrie des armes.
Elle lui appartient.
Elle est née avec le sabotage de l'essor des dirigeables il y a une soixantaine d'années.
C’est un pur produit de la civilisation industrielle.
Fi du discours des manichéens et des manipulateurs en recherche de boucs émissaires pour dissimuler leurs nouvelles ambitions !
Ben Laden et ses semblables s'inscrivent bien dans la logique de pensée et d'action dominante.
Ils en ont surtout bien intégré la violence technologique.

La libération du refoulé

Et puis d’autres avions ont pris leur vol pour écraser les écosystèmes afghans sous les stocks de bombes reconstitués depuis 91 ; pour que plus aucune vie n'y subsiste.
Combien d'êtres vivants pour 1 seul combattant ?

Issus de leur industrie et de leur vision du monde, les attentats de septembre 2001 ont fourni aux impérialistes un remarquable prétexte pour lâcher enfin leurs chiens de guerre.
Dissimulés derrière l'indignation des belles âmes prises au piège de leurs propres contradictions, il leur a été facile de justifier la relance de l'industrie militaire et l'élimination physique des Talibans, leurs propres créatures, pour prendre enfin racine dans la région qu'ils convoitaient.

Encouragés par une victoire d'autant plus facile que les peuples afghans ont fait le gros du travail sur le terrain, allaient-ils se contenter d’un si maigre butin ?
L’intelligence collective n’a pas tardé à réaliser qu’en matière de risques de destruction massive et de totalitarisme, le plus à craindre était du côté du prétendu sauveur tenaillé par des appétits et des intérêts très éloignés du bien commun.

Tout le monde pense bien sûr au pétrole.
On parle moins de la volonté d'assurer la sécurité de l'état israélien qui est la tête de pont de l'impérialisme US et de ses suivistes dans cette région primordiale pour les industries destructrices de la biosphère.
En 1995, Maurice Jacoby, qui avait suivi tous les événements de la région depuis les prémices de la constitution d'Israël, estimait à 10 milliards de $ annuels les fonds versés à celui-ci par les Etats-Unis "pour son rôle de porte-avions insubmersible capable de mobiliser (…) plus de 600 000 hommes pour la défense de leurs intérêts dans le Moyen-Orient pétrolifère" (Silence n°187, février 95).
Les autres pays qui déplaisent au nouvel empire ont des raisons de s'inquiéter.

Sur la nature profonde du sauveur autoproclamé, le refus de signer l'adhésion à la Cour Pénale Internationale et même le très fade protocole de Kyoto ne laisse pas place au doute (1).
Et qui a oublié ses sinistres exploits au Viêt-nam, ses bombardements des villes et des villages et ses déversements chimiques sur des écosystèmes parmi les plus diversifiés de la planète ?
Qui a oublié son rôle dans l'établissement sanglant d'une impressionnante collection de dictatures : les régimes galonnés du sang de l'Amérique du Sud - tel l'inoubliable Chili de Pinochet, l'Iran du Shah, le Zaïre de Mobutu, l'Indonésie de Suharto, les Philippines de Marcos, sans oublier le soutien à Saddam Hussein lui-même ?
Qui a oublié les 39 jours de bombardements démentiels sur la Mésopotamie en 91 (90 000 tonnes de bombes, dont 62 000 tonnes à côté de leurs objectifs) ?
Qui a oublié l'usage d’armes "de destruction massive", dont du napalm, des bombes à effet de souffle, à dépression, à fragmentation, des mines antipersonnel disséminées en pluies, et des projectiles blindés d'uranium appauvri qui empoisonnent tout et tous, même ceux qui les utilisent (2) ?
Traumatisée par sa défaite au Viêt-nam, l’oligarchie états-unienne ne laisse plus l’ombre d’une possibilité de se défendre à ceux dont elle a décidé la fin.

Le dernier combat

Comme le rappelle Alfred North Whitehead citant Platon :
"La création du monde - je veux dire de l'ordre civilisé - est la victoire de la persuasion sur la force".
La force, c'est à dire la dominance, est la traduction d'un refus, d'une fuite, d'un repli sur un univers irréel.
Quoiqu'elle s'efforce de paraître, elle est une faiblesse, souvent un complexe, toujours une incompétence par rapport à la vie sociale et à l'économie de la nature.
Peu perturbés par des considérations un tant soit peu complexes, les dominants passent aisément du fantasme de suprématie sur les autres personnes, autres classes sociales, autres peuples, sur tous les autres vivants, sur la nature elle-même, au mépris et à la haine de ces autres qu'ils ne peuvent comprendre puisqu'ils se croient supérieurs.
S'ils sentent que le cours des choses leur échappe et qu'ils se croient menacés, ils deviennent dangereux.

Or, après trop de productivisme, après trop de spéculation, après trop de ruines et de destructions pour nourrir le monstre industriel qui les portent, les dominants commencent à être confrontés à l'échec de leur système.

Alors, à quoi croyez-vous qu'ils songent ?
Les imaginez-vous capables de reconnaître que leur système ne fait qu'épuiser à vitesse croissante le capital produit par une évolution de 3 milliards d'années, qu'il est donc inadapté à la vie ?
Il leur faudrait une ouverture d'esprit et une humilité tout à fait étrangères à leur culture.
Au contraire, la fermeture caractéristique de leur structure est productrice de réductionnisme et de simplisme.
Savent-ils qu'ils sont avant tout menacés du fait de la raréfaction des ressources qu’ils ont saccagées et par les réactions que leur fonctionnement engendre (3) ?
C'est assez peu probable.
Ils sont prisonniers d'une spirale régressive où, entraînés par les certitudes qui les rassurent, ils macèrent dans une conscience gravement altérée - la fausse conscience - qui cultive leurs névroses (4).
Par contre, leur paranoïa les focalise sur les menaces.
Ils ne sont donc plus dans une banale stratégie de conquête de marchés et de ressources, mais dans une logique prédatrice d’autant plus repliée sur elle-même, complètement désinhibée.

Les dominants sont lancés dans une fuite en avant éperdue pour tenter de se sauver, quitte à naufrager tout le reste (5).
Et plus ils se fourvoient, plus il leur faut réduire le plus grand danger pour leur système : la philosophie écologiste.
Parce qu'elle s'oppose au dogme de la domination de l'Homme - plus exactement : d'une oligarchie industrielle - sur les hommes et la nature, la culture et la pensée critique qui réinsèrent les hommes et leurs activités dans l'économie de la nature, et souligne l’interdépendance de toute chose, doivent être expédiées aux oubliettes avec les idées d'association, de coopération, de solidarité, et, bien sûr, leurs pratiques.

C'est pourquoi les dominants ont cassé les élans libertaires et conviviaux des années 1960 et 70 sous l'action de leurs "forces spéciales" : les entristes qui ont changé des mouvements alternatifs en partis conformistes (6).
Depuis les années 1980, sous prétexte de libéralisme et de libre concurrence, ils cassent méticuleusement les régulations protectrices de la diversité économique et des services publics (les derniers communaux) pour faire place nette à leurs banques, "chaînes", "centrales" et multinationales, expédiant à l'Assedic les commerçants, les producteurs artisanaux, les métiers de service autonomes.
Maintenant, afin d’extraire les derniers sucs de la planète, ils utilisent les mécanismes dissimulés des démocraties représentatives pour piéger les peuples dans ce qu'ils nomment une "négociation" sur la privatisation de tous les services dans le cadre de l'OMC : l'AGCS (accord général sur le commerce des services) (7).

L'objectif de ce dernier effort est limpide.
Il s'agit de passer à la trappe toute pratique et toute notion de service qui ne soient pas commerciales, donc soumises à la logique du profit.
Il s'agit d'en finir avec les services publics et, à plus forte raison, avec les "communaux".
Le projet est absolument totalitaire.
Il vise à mettre hors la loi l’intérêt public, le bien commun et la convivialité des vivants partageant la même biosphère.
Car seul doit subsister l'ordre de la compétition commerciale et de la croissance infinie.
Un ordre vertical où les profits vont aux mêmes quand tous profitent des destructions généralisées.

Etant allée plus loin que ses consœurs dans la logique de la liberté libérale, l'oligarchie des Etats-Unis a pu percevoir que, comme le communisme autoritaire, son système s’autodétruit dans une débauche d'effondrements sous le poids de l'incompétence et des corruptions.
Avec le souci de détourner l’attention vers des ennemis imaginaires, avec la peur de la violence que sa violence suscite, un soupçon de prise de conscience de sa propre fragilité a peut-être été le facteur déclenchant de ce nouveau pas dans la dérive totalitaire.
Toujours est-il que, n’en déplaise aux chantres du capitalisme libéré porteur de paix, l'oligarchie US fait une fois de plus la démonstration que la "guerre économique" conduit à la guerre totale.
La guerre est en effet le seul état qui permette au système de se maintenir dans un ensemble vivant fait de coopération qui lui est antagoniste.

A contre pied

La plupart des peuples ont dit non à la guerre impérialiste, y compris ceux au nom desquels - exceptés les Etats Unis - les représentations politiciennes ont appuyé la guerre.
Plus clairement qu'avec les "choix" imposés par les dictatures financières et industrielles, l'escroquerie à la démocratie représentative est apparue en pleine lumière.
A cet égard, les exemples de la Grande Bretagne, de l'Italie et de l'Espagne sont caricaturaux.
Ainsi, l'hostilité de la quasi-totalité de la population espagnole n'a nullement empêché la majorité des parlementaires de se ranger aux côtés d'un gouvernement inféodé aux Etats Unis.
Comme toujours, l'oligarchie efface la démocratie.

Le "non" des autres gouvernements n'est pas non plus fait pour nous rassurer.
Le choix de cette attitude par d’autres impérialismes généralement moins timides est plus révélatrice de la gravité du pathos diagnostiqué chez l’ami américain que de la qualité de la démocratie.
Les politiciens d'ici qui ont tenté d'apaiser la crise ne sont pas plus proches de la population.
On les connaît depuis trop longtemps et on a bien vu, d’ailleurs, qu'ils ont tout décidé du haut de leur superbe isolement.
Pour faire bonne mesure, en dépit de la réprobation quasi générale, ils n'ont pas un seul instant hésité à autoriser le passage des engins portant la mort dans le ciel de France pour se ménager une petite chance de recevoir des miettes de la curée d'après guerre.

Quant à la réaction manifestée dans les rues et les forums, est-elle à la mesure de la menace ?
C’est un bel élan généreux, mais on voit encore défiler en tête ceux qui se sont toujours efforcés de détourner et de récupérer les mouvements sociaux pour affirmer leur dominance et accéder à l’establishment politicien.
Même parmi les sincères, la question se pose avec acuité : quelle est la portée de l’élan pacifiste ?
Est-il de nature à affaiblir la violence dominatrice en sapant ses bases ?
Combien ont réalisé que pour débrancher le système guerrier des sources qui l’alimentent, pour porter un coup au projet qui sous-tend cette guerre et en prévenir d’autres, il faut dire non à d'autres choses, des choses auxquelles beaucoup sont peut-être très attachés ?

La plus grande partie des opposants à la guerre est prise au piège de contradictions énormes.
Révoltée, elle se refuse encore à comprendre que les monstres contre lesquelles elle voudrait se dresser sont engendrés par le système auquel elle participe.
Quelques-uns en appellent à un sursaut du politique contre l'économisme et son cortège d'intérêts et de visées impérialistes.
Très bien !
Malheureusement, la question des références et des pratiques n’est guère abordée.
Combien remettent en cause les références culturelles du système qui manipulent les perceptions et les consciences ?
Combien dénoncent cette façon d'être contre les autres qui est de règle tant dans les entreprises, les partis, la plupart des "associations", de prétendus réseaux alternatifs, que sur les routes ?
Pour tout dire, combien perçoivent et condamnent le mépris et la violence forgés par les valeurs antagonistes avec la vie qui ont été réensemencées et forcées à coups d'intrants dès les années 1970 : individualisme, égoïsme, liberté libérale, compétition, prédation, possession, et, au total, domination ?
Dans les milieux militants, combien ne sont plus fascinés par les falsifications électoralistes de la démocratie ?
Pratiquement, combien veillent à refuser la censure, la compromission et la magouille dégradantes (8) ?
Et, tout au fond d'eux-mêmes, combien se sont prémunis contre l'égocentrisme qui mène aux dérives nourricières de l'impérialisme sur les hommes et la nature ?
A l’inverse, combien cultivent l’ouverture, la recherche et l’échange des expériences, des informations et des idées, la convivialité et la simplicité ?
Hum ?
Et combien ne se sont pas égarés du côté des consommations lourdes pour autrui ?
Combien boudent les gadgets de la civilisation industrielle, tel ces avions qui font le lien entre les bombardements de la seconde guerre mondiale, ceux de la guerre du Golfe et de l'Afghanistan, les attentats du 11 septembre, la "sécurisation" du pétrole irakien et l’affaiblissement accéléré de la biosphère ?

L'aviation gaspille des fleuves de pétrole et libère chaque jour des marées noires atmosphériques qui empoisonnent toute la planète et dégradent les climats, tout comme l'automobile, l'autre plaie du productivisme.
Or, ne croyez-vous pas que beaucoup moins de crimes seraient commis pour le pétrole, cette drogue des nouveaux empires, si les consommateurs étaient moins nombreux ?

Parmi les horrifiés concentrés sur les attentats du 11 septembre, combien ne s'étaient pas résignés aux accidents d'avions qui, depuis longtemps, ont relégué la "catastrophe de l'Hildenburg" au rang des accidents ordinaires ?
Combien avaient conscience du terrorisme écologique permanent, des spoliations et des ethnocides - quand ce ne sont pas des guerres - commis par leurs chères industries, de l'extraction dans le Carajas brésilien ou la Papouasie occidentale à la pollution répandue sur tout le globe, cela pour maintenir leur niveau de confort ramolli et leurs déplacements rapides ?
Ils ont été d’autant plus choqués qu’ils ont confusément perçu que ces attentats étaient une représentation condensée de la violence de leur civilisation.
Mais on peut craindre qu'il leur faille encore du temps pour pouvoir réaliser quelle est l'incidence de leur façon d’agir et de consommer dans la généralisation de la violence.
Trop de temps !

L’autre civilisation

Quand les militants, les opposants à la guerre, tous ceux qui sont encore capables d’un élan de générosité ou, simplement, d’un peu d’instinct de conservation, s'efforceront-ils d'être conséquents à temps plein en convivialisant leurs pratiques et en maîtrisant leurs consommations ?

Par exemple :

- l'avion des déplacements professionnels,
- l'avion des vacances, surtout quand celles-ci sont à portée de train et de bateau (9),
- le véhicule automobile (y compris la moto) des trajets boulot dodo sur des distances de plus en plus grandes,
- l'auto des courses marathon dans ces "grandes surfaces" qui, pour le bonheur des banques et des partis, ont ruiné d'innombrables artisans et commerçants, et la vie sociale auxquels ils participaient,
- l'auto et l'avion des épandages exponentiels de bitume et de béton, et du défilé des barils de pétrole dans les réservoirs, sur les plages, dans nos poumons, dans toute l'atmosphère,
- l'avion et l'auto des destructions écologiques et sociales massives…

Deux outils surdimensionnés qui détruisent la vie tout en renforçant les dominations.
Deux consommations que nous pouvons réduire pour peser sur les orientations technologiques et la réorganisation de l'espace déstructuré par l'usage banalisé des véhicules motorisés.
C’est le meilleur moyen d’amorcer l’évolution nécessaire (10).

Eviter de polluer - les esprits, les interrelations, comme les écosystèmes - n'est pas la seule bonne raison de réduire le plus possible ses consommations nuisibles aux autres et d'investir en dehors des circuits de la dominance.
Ne plus alimenter, et si possible affaiblir jusqu'à l'affamer le système mortifère qui dévaste les forêts primaires, clochardise les peuples autochtones, réduit la personne en vantant l'individu, jette à l'assistance publique ses employés, tout comme il écrase la Mésopotamie sous les bombes, en est une autre.
Car "Accepter la paix capitaliste c'est accepter la guerre.
Il n'y a aucune attitude de neutralité possible dans la vie quotidienne.
Tous nos actes nous engagent d'un côté ou de l'autre de l'exploitation de nos semblables et de nous-mêmes.
Les acceptations les plus anodines peuvent nous conduire à apporter notre soutien, malgré nous, aux forces de la domination" (11).
Voilà pourquoi il faut boycotter les industries dures en guerre contre la vie.

La démagogie démocratique ne dissimule plus l’exaspération du délire des prédateurs. Il ne leur importe même plus de subir en partie les effets de leurs propres stupidités et de compromettre l’avenir de leurs enfants.
"The show must go on".
Nous vivons un "choc des civilisations", mais pas celui que Samuel Huntington voit par le petit bout de sa lorgnette !
Musulmans, Bouddhistes, Païens, Juifs, Hindouistes, Athées, Bédouins, Iroquois, Bataks, Bretons… la diversité des origines, des religions et des cultures ne conduit à l'affrontement que les aliénés par la culture de la domination (12).
Pourvu qu'on échappe à l'emprise de celle-ci, la diversité stimule la curiosité, invite à l'ouverture et à l'empathie pour l'ensemble vivant.
Nous l'avons vérifié avec les réactions à la guerre impériale qui ont transcendé toutes les nuances pour révéler la principale confrontation : nous sommes au paroxysme de la guerre contre la vie, mais cette dernière semble, à nouveau, vouloir se rebeller.
Sous la désinformation et la fureur de la civilisation dont l’impérialisme menace les hommes comme la biosphère, la civilisation inspirée par l'amour de la vie tente de faire entendre sa différence dans toutes les populations.
Cependant, il reste à faire encore un gros effort d’analyse pour que cet amour puisse s'extirper de la camisole de fausse culture tissée par l'idéologie impérialiste, et donner toute sa mesure.

Pour que s'épanouisse la civilisation écologiste et conviviale dont l'espoir réunit la plupart des hommes, quelles que soient leurs couleurs et leurs coutumes, le travail sur la conscience doit être accompagné d'une évolution des consommations et des pratiques.
Choix après choix, nous pouvons redécouvrir nos capacités personnelles et collectives.

Chacun peut déjà s'exercer avec un type d'arme que l’adversaire redoute plus que tout puisqu'il se nourrit de notre dépendance : le retrait.
Ne plus gaspiller, économiser, substituer, mesurer les conséquences de chaque geste…
Donc, reprendre le contrôle de sa consommation pour réorienter les politiques industrielles. Deux exemples basiques :
- Retirer sa clientèle aux compagnies aériennes (et aux constructeurs) en leur précisant qu'on attendra que leurs appareils soient devenus légers pour la biosphère, très légers.
- Boycotter l'automobile et les grandes surfaces, et retrouver le chemin des artisans et des commerçants qui font vivre les villages et les cités.
La reprise de conscience et le changement d'attitude vis à vis des technologies dures constituent un test de la capacité d'évolution.

L'autre test concerne la revitalisation de la vie sociale et politique :
s'abstenir pour désamorcer toute capitalisation de pouvoir, déserter les tribunes et les étals pour légumes qui sont rangés devant, ne rien abandonner aux dominations et le faire savoir, et retrouver le sens de la solidarité et de la stimulation réciproque pour restaurer les interrelations et les communaux qui font la démocratie directe.
Difficile ? Pas vraiment, il suffit d'amorcer le mouvement.

Réduction des consommations nuisibles pour stimuler les alternatives et contagion des échanges et de l'empathie, voilà la seule grande manifestation qui vaille.
"Il s'agit de s'organiser dès à présent pour arracher immédiatement la plus grande part possible de notre quotidien à la complexité de la chaîne d'exploitation qui nous domine.
Dans le fait même de l'organisation autonome commence l'émancipation" (Michel Garonne).
Efficace comme ne le sera jamais le bulletin destiné à être conchié dès le dépouillement du scrutin, l’action au quotidien est le moyen d'amorcer la décroissance indispensable, le moyen d'aider à la victoire de la civilisation écologiste et conviviale sur la civilisation impérialiste.

Alain-Claude Galtié
3 avril 2003

(1) Une démonstration aurait dû achever de convaincre les sceptiques :
Juste avant le déclenchement de la guerre, les "responsables" états-uniens ont dévoilé l'objet de leur dernière fierté devant la presse internationale : une bombe de 9 t ½ d'une puissance comparable à celle d'une "petite" bombe nucléaire.
Bien sûr, ils n'ont pas résisté à l'envie de faire admirer les prouesses de leur bébé.
Ils l'ont donc fait sauter, mais non pas dans un endroit à peu près désertique comme ils en ont tant, non, ils l'ont fait sauter dans la mer, à quelques encablures de la côte de Floride…
Sur combien de dizaines de kilomètres à la ronde ont-ils anéanti la vie ?

(2) L’uranium appauvri (UA) a d’abord été utilisé par les militaires US pour sa densité 2,5 à 3 fois plus grande que celle de l’acier.
Cette caractéristique multiplie la vitesse des projectiles, leur portée, leur puissance et leur pouvoir de pénétration.
Elle donne une telle supériorité sur les blindés classiques que, même sur un mauvais tir, les occupants de ceux-ci sont anéantis avant même de pouvoir livrer combat, comme l'ont été les Irakiens depuis 91 et les Talibans.
La nocivité de l’UA est double : à la fois chimique, comme tous les métaux lourds, et radioactive.
Elle est potentialisée par sa faculté de brûler au contact de l'oxygène atmosphérique et par la dispersion qui s'ensuit.
Dès le tir, l'UA libère une traînée polluante (il s’oxyde en libérant des micro-particules à partir de 350°C).
A l’impact et dans la fournaise qu’il entretient lui-même, une grande partie du métal se vaporise et pollue tout l’environnement.
1 seule particule de 2,5 microns produit 170 rems par an, soit 100 fois le niveau maximum de radioactivité toléré par personne (réf. : les travaux de Léonard Dietz tel que "Estimate of radiation dose from a deplete uranium oxide particle").
Inhalée, elle peut passer dans le sang et tous les organes.
Déchet de l'industrie nucléaire, l'UA est pollué par d'autres éléments encore plus dangereux.
C'est ce poison absolu dont l’armée états-unienne, surtout, a dispersé au moins 300 tonnes en Irak et au Koweït durant la 1ère guerre coloniale du Golfe arabo-persique.
On y observe depuis la multiplication des leucémies (jusqu’à 50%) et des malformations congénitales.
Aux Etats Unis, 250 000 vétérans sont victimes du syndrome de la guerre du Golfe.
Même des techniciens ayant participé à des missions de décontamination sont morts.
D'autres sont malades.
« Les Américains se sont conduits en apprentis sorciers.
L’utilisation de ce type de munitions relève du mépris le plus absolu des règles qu’un militaire se doit de respecter (…)
L’obstination à vouloir percer les blindages est une imbécillité totale (…)
Qui plus est, les effets induits par la propagation des particules d’UA à la suite des explosions sont, qu’on le veuille ou non – même indirectement – du domaine de la guerre chimique.
Admettre la généralisation de ce type d’armes revient à légaliser la contamination par radioactivité et ce pour une durée sans comparaison avec les conséquences des bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki (demi-vie = 4,5 milliards d'années).
Ce ne peut être considéré que comme un crime contre l’humanité (…) » général Pierre-Marie Gallois.
Au lieu de conduire à une prise de conscience et à une interdiction, ce premier usage des armes à l’UA et ses épouvantables conséquences en ont stimulé la production et le commerce, en France particulièrement.
Nouvelle preuve de la folie dominante.
Elles sont maintenant disséminées dans une vingtaine de pays.
Ces armes ont ensuite été utilisées en Bosnie, en Serbie, au Kosovo et en Afghanistan.
Beaucoup plus que les hypothétiques armes chimiques de Saddam Hussein, c’est l’utilisation de ces armes répugnantes qui obligent les troupes US à s’habiller de vêtements de protection.
Quelle quantité d'uranium appauvri a été vaporisée cette fois-ci ?
Combien y aura-t-il de victimes ?
Et l'UA continue à conquérir des marchés…
Il n’y a pas très longtemps que nous avons appris que des avions du transport civil – en particulier des Boeing, comme ceux qui se sont écrasés à New York et Washington - sont lestés avec des pains d’uranium appauvri (jusqu’à 435 kg pour un 747).
Oui, ce même UA avec lequel les Etats Unis massacrent à l'aise leurs alliés d'hier, et désormais adversaires, et polluent la planète pour l'éternité.
Et, quand ces avions s'écrasent, ils polluent tout autant l'environnement en métal lourd radioactif.
Ainsi, depuis le crash d’un Boeing 747 lesté d’UA, entre autres toxiques destinés à l’armée israélienne, sur une barre d’immeubles de la banlieue d’Amsterdam en 1992, 350 personnes souffrent de symptômes comparables à ceux du syndrome de la guerre du Golfe.

Sources : "L’utilisation d’UA au cours de la guerre du Golfe, ses effets, sa prolifération" par Lakjaa Karim, "Escalade des armes à l’UA" par Joëlle Pénochet, et autres sites Internet sur les suites de la guerre de 1991.

(3) "Renversement et rétablissement de la culture conviviale",
Silence n° 248/249/250, septembre, octobre, novembre 1999.

(4) "La fausse conscience", Joseph Gabel, Edit. de Minuit 1962, collection Arguments.
La fausse conscience est générée par la fausse culture : celle qui métamorphose les sciences en justifications de la domination de la nature.

(5) "Guerre à la planète" Ecologie Infos n° 399, mars/avril 1991.
"Mise à mort et renaissance" Ecologie Infos n° 401, 5 décembre 1991.

(6) "La liberté démasquée", Courant Alternatif, n°111, été 2001.
Silence n°272-273/274, juillet/août et septembre 2001.

(7) Pour plus d’information :
Institut pour la relocalisation de l'économie
14, Grand Rue 30610 Sauve, fax : 04 66 77 07 14

(8) "Est-ce ainsi que les hommes vivent ?" Alternative libertaire n°204, mars 1998.
Silence n° 233/234, juillet 1998.

(9) Un site Internet vous permettra de faire une première estimation de l’impact écologique des déplacements en avion et vous offrira des alternatives par train et bateau (de vrais voyages) :
http://www.chooseclimate.org/

(10) Colin Ward, "La liberté de circuler : pour en finir avec le mythe de l'automobile",
Atelier de Création Libertaire/Silence, 1993.

(11) Michel Garonne, "Les germes de la libération", bulletin n° 80 de la 2ème U.R./C.N.T.,
39, rue de la Tour d'Auvergne, 75009 Paris,
http://www.cnt-2eme-ur.org

(12) Huntington a imaginé qu’il était inévitable que l’Occident et l’Islam s’affrontent.
Cette vision a rencontré un grand succès outre-Atlantique.

Bibliographie :

Max Horkheimer et Theodor Adorno : "La dialectique de la raison", 1944, Ed. Gallimard 1974. Rappelons-nous que Pierre Kropotkine a clairement souligné les enjeux opposant le libéralisme totalitaire et l'association libertaire.

Alfred North Whitehead : "Aventures d'idées. Dynamique des concepts et évolution des sociétés", Ed. du Cerf.

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